Derrière les progrès et les résultats prometteurs de l’Equipe de France et cachée par « le futsal des clubs médiatisés étrangers ou français », existe aussi une France du futsal silencieuse, qui, derrière des résultats sportifs pourtant prometteurs, traversent depuis longtemps une crise profonde passée sous silence et que tout le monde semble ignorer.

DES DIRIGEANTS A BOUT

Nous sommes bien loin des discussions échangées à propos du mercato des clubs de D1, de l’effervescence sur une venue de Ricardinho ou des arcanes du Plan Fédéral de Développement du Futsal, pensé très loin à Paris. En ce mois de décembre 2019, nous sommes à Toulon, dans le club des quartiers Est de la ville, le TEF. Non pas le TEF de la D1 que tout le monde connait (aka le Toulon Elite Futsal), mais le Toulon Est Futsal !

Toulon Est Futsal, qui évolue en Régionale 1 de la Ligue Méditerranée (PACA) et dans laquelle il est actuellement cinquième du classement, est un club de futsal qui pourrait être à l’image de très nombreux clubs en France: avec beaucoup d’ambition au départ, mais vite rattrapé par la réalité du terrain. Le TEF est créé en 2009 par son actuel président, Grégory Bouzid, dans le quartier de Sainte Musse, classé en 2016 parmi les dix quartiers prioritaires les plus pauvres de France.

Très ambitieux sportivement dès le départ, les résultats, depuis 10 ans, n’ont pas manqué de suivre: plusieurs fois champions du Var, de la Coupe départementale, le club varois est aujourd’hui dans le haut de tableau de l’un des groupes du troisième niveau national (R1 Ligue Méditerrannée). Le club aura même raté de peu, il y a 2 ans, l’accession en D2 nationale via la phase des barrages, sans parler d’un 1/16 de finales en Coupe Nationale en 2018/2019. Un vrai succès sportif (près de 300 personnes en tribunes) et humain (aucun souci de discipline noté).

Oui mais …. Qu’est-ce qui ne va pas ?

Comme beaucoup de clubs en France, le club se sent abandonné. Le club de Toulon Est Futsal est surtout un club à vocation sociale, et comme nous le disions, dans un quartier très pauvre. Une section loisirs de près de 600 personnes, avec de nombreuses personnes délaissées par le sport de compétition: des personnes en surpoids et « condamnés » par beaucoup à ne « pas aller loin », une licence loisirs à 1 euro symbolique, que la plupart ne paie même pas. Beaucoup diraient de fermer le club, que « cette population ne le mérite pas ». « Que la jeunesse n’est pas une jeunesse sérieuse et préoccupée par l’avenir de leur club ». Baisser le bras est bien trop facile. Bien trop facile à dire pour le président Grégory Bouzid, qui, plutôt que de s’attarder sur ce constat fataliste, n’a jamais rien voulu lâcher. Pour lui, le futsal n’est pas qu’un sport, c’est un sacerdoce. Donner à ceux qui n’ont rien. Ou en tout cas pas grand chose. Et ne rien attendre en retour, si ce n’est au moins d’être accompagné par le soutien des collectivités en charge du développement du territoire et de la politique de la Ville. Ce soutien qui vient juste d’arriver in-extremis par la Mairie de Toulon, qui aura sans doute vu les articles dans les médias régionaux, mais qui ne servira tout juste qu’à terminer la saison de son équipe 1, juste cela. C’est déjà ça, mais comme souvent, pas suffisant.

Après plusieurs milliers d’Euros investis personnellement, le président-coach Bouzid entraine 3 équipes, gère la section loisirs, s’occupe de l’administratif, fait les déplacements de ses équipes, lave les maillots. Le club a perdu ses deux plus gros sponsors (qui ont mis eux aussi la clé sous la porte) et a subi l’arrêt de la possibilité d’avoir des services civiques. Dans une ville de près de 200 000 habitants, le club n’a pas de local, pas de minibus, pas d’employés. Et ce ne sont pas les 4500 Euros de subvention accordé chaque année qui aideront le club (3000 Euros de la ville et 1500 de la Communauté d’Agglomération). « C’est même ma femme qui lave tous les maillots des équipes du club« . Assurant des missions de service public claires et efficaces d’animation de son territoire, le club se sent complètement délaissé par sa mairie, « estimant que l’argent pourrait être mieux utilisée sur le quartier« .

Comme beaucoup de clubs, le club de Toulon se sent aussi abandonné par sa Ligue, beaucoup trop obnubilé selon lui « par son rôle purement administratif« , sans soutien: « la ligue ne nous met plus d’arbitre « du coin » mais des arbitres qui viennent de loin. Un arbitre, juste pour notre équipe 1, c’est entre 200 et 300 euros. Comment y arriver ?« . « Ce serait bien que la Ligue aide aussi les clubs en prenant en charge les frais de déplacements comme au plus haut-niveau. Ne pas se pencher sur le problème des clubs, c’est grave. Le futsal est malade car les petits clubs n’ont pas grand chose,et perdure le système de la débrouille? Les clubs de D1 et D2 sont aidés directement, pourquoi pas nous ? ». Selon le président Bouzid toujours: « la ligue pourrait promouvoir le futsal réellement, en faisant de la publicité avec du vrai marketing dans la région, pas grand chose n’est fait, de nombreuses personnes ne savent toujours pas c’est quoi du futsal« .

Le Toulon Elite Futsal ? A propos du club champion de France, le président Bouzid affirmera « on se connait tous, ils sont au courant de nos difficultés. Nous n’avons pas de réels contacts. Nous nous saluons poliment, mais nous n’avons jamais fait un match amical, alors que nous sommes dans la même ville. C’est vraiment dommage. Je me sens presque plus proches (à la limite) de clubs parisiens que de mes voisins, ça fait mal. »

Comme mot de la fin, le président Bouzid a tenu à passer un message et une pensée fraternelle à tous les clubs de futsal français à tenir bon, lui qui ne sait pas encore sera fait l’avenir de son club.  » S’unir et faire entendre la voix des petits clubs, et échanger les uns avec les autres » restera, selon le président Bouzid, « le plus important« , afin de se « remonter le moral mutuellement« .

Mais voilà, en 2020, toujours aucune réelle association nationale des clubs de futsal n’existe. Une association des clubs existe pourtant bel et bien (présidée par le président du Toulon Elite), mais aucun rapport d’activité, outils de communication (site web, réseaux sociaux), documents officiels, ne permettra à notre rédaction d’en dire plus. Renforçant encore plus le sentiment d’abandon du Toulon Est Futsal il est vrai.

Derrière notre belle équipe de France et la mise en lumière des clubs de l’élite, un malaise profond semble habiter de très nombreux clubs français au niveau régional et départemental, qui n’ont malheureusement pas de voix pour s’exprimer. Au-dela de l’aspect financier, de la crise du bénévolat, c’est ce sentiment d’abandon par les instances -collectivités ou sportives – qui semblent aujourd’hui faire le plus de ravage (un président de ligue affirmait encore recemment, face au constat de la baisse des effectifs au futsal dans sa région, que cela était sans doute dû « aux joueurs sans licence »). Un déficit d’image parfois « volontairement inconscient » pour une belle discipline qui mérite d’être connue et reconnue. Tantôt désignée à tort comme bouc émissaire des maux de la société (voir notre article), ou utilisé honteusement car il est aujourd’hui trop facile de taper sur le futsal (lien), le futsal « d’en bas » souffre et l’écart entre le futsal de l »équipe de France et de la D1″ risque de se creuser de plus en plus. Le futsal aura aussi à faire face à ce défi dans les années à venir, pour ne pas se couper de sa base comme dans d’autres disciplines.

« LE MANQUE DE CONSIDERATION, CA PEUT TUER DES VOCATIONS »

De nombreux clubs ferment aujourd’hui, ou sont rétrogradés sportivement, par manque de soutien. Nombreux sont les clubs qui ne tiennent que par passion, mais jusqu’à quand? Nombreuses sont les vies de famille affectées et les dirigeants seuls dépassés, qui ne peuvent plus joindre les deux bouts. Nombreux sont les messages de désespoir que nous font parvenir certains clubs dans lesquels l’expression de ce malaise est palpable. « On ne s’intéresse à nous que pour payer des amendes ou des bulletins de votes« . Cette phrase exprimée par un président de club d’Occitanie (dont nous tairons le nom), semble être la phrase qui revient très souvent. Sauf que les élections ce n’est pas tous les mois, et que les amendes et frais de déplacement cela fait beaucoup sans soutien (ou peu de soutien) des collectivités et des instances. Ce même président qui nous affirmait que les « régions avait changées de taille, mais sans rien avec en termes d’aides au transport« .

Cette expression du manque de considération est une réalité , quelques soient les arguments invoqués par les uns ou les autres. Il est fou voir suicidaire de penser que le futsal français pourra se faire sans ces clubs de village et de quartiers (sensibles ou pas). De bonne solutions peuvent être trouvées, notamment du côté des Ligues ou Districts, qui ne pourront à terme se contenter d’un rôle administratif ou de formations en calquant leurs méthodes sur celles adoptées pour le football à 11. Idem pour les règlements, sous lesquels croulent de nombreux petits clubs, et sur lesquels tombent les sanctions abruptes, sans possibilité pour ceux-ci de s’exprimer et qui se heurtent à des murs de silence au mieux, à du mépris très souvent. Penser le futsal de demain ne pourra se faire qu’avec le concours des clubs de la base. C’est en tous cas notre avis. Car le futsal n’est pas du football à 11, et car le futsal (de France en tous cas) est né, qu’on le veuille ou pas, dans les quartiers de Cannes, de Roubaix, de Paris et de Lyon, et se joue même dans des petits villages avec une seule équipe d’amis, qui ont des ambitions sportives, eux aussi. Le « marche ou crève » proné par les instances, surtout pour une discipline naissante, ne pourra être la solution.

Réforme du statut de l’arbitrage (double couverture arbitre futsal/foot à 11), annulation des frais de mutation, aides pour les frais de déplacements au niveau régional, votes futsal que par les clubs de futsal, accompagnement (plutôt que coercition) en matière de formation des coachs, autorisation de surclassement assouplies, reconnaissance de la formation (détections futsal non ouvertes aux clubs qui n’ont pas de section futsal), baisse du montant des cartons et arbitres, création d’une instance indépendante rattachée à la FFF, sont autant de pistes (mais pas les seules) que nous avons pu noter, sans parler du déficit d’image et de publicité également évoqués par plusieurs clubs qui souffrent structurellement mais aussi, et d’abord, de considération et d’un paternalisme qui est de moins en moins accepté.

CHANGEMENT DE PAYSAGE DU FUTSAL FRANCAIS

Cette demande de parole, ce besoin de compréhension voir de ras-le-bol pour certains clubs se traduit de manières différentes. Face aux difficultés, certains ont tous simplement mis la clé sous la porte, faute de solution trouvée (problème de créneaux, de moyens financiers, crise du bénévolat, manque de considération). D’autres auront trouvé la parade et leur salut en se regroupant entre clubs de futsal sur le territoire ou en étant absorbés par des clubs de football à 11, au risque de perdre leur âme, par intérêt non dissimulé de certains clubs à 11 de faire main basse sur cette discipline, ne la considérant pas comme discipline à part entière. Juste comme un vivier de joueurs et de cotisations au pire, ou comme un tremplin vers le foot à 11, ce qui est un moindre mal (Certains clubs à 11 jouent heureusement parfois pleinement le jeu afin d’offrir simplement une palette plus complète en matière de formation à leurs jeunes). A l’extrême, plusieurs clubs sont même allé ou réfléchissent jusqu’à se désaffilier de la FFF, de manière complète ou sur certaines catégories, pour aller vers d’autres fédérations (voir notre article). Est-ce cela le devenir de ces clubs spécifiques futsal dans des zones défavorisés ? Nous sommes en droit de nous poser la question. Le futsal de demain ne sera t-il à l’avenir que celui « des sections futsal dans des clubs à 11, avec de gros moyens financiers ? (d’ailleurs à Toulon, c’est le Sporting Club de Toulon qui vient de créer sa section). Sera t-il possible de combiner social et futsal spécifique ? Ambitions sportives et charges financières raisonnables ? La situation reste préoccupante dans bon nombre d’endroits de France malheureusement…

L’avenir nous le dira, mais l’obligation de structuration demandée aux clubs induira nécessairement de plus grandes revendications à participer et influer, par ces mêmes clubs, sur les prises de décisions des instances (au niveau régional, départemental voir national) afin de se faire (enfin) entendre. Les instances sportives devront l’accepter et s’ouvrir au dialogue, surtout aux niveaux régionaux et départementaux, et devront aussi, à défaut d’aides directes pourtant nécessaires, redoubler d’efforts pour imposer médiatiquement le futsal sur leur territoire. Non pas juste pour répondre aux injonctions fédérales de développer « poliment » le futsal et gérer administrativement une discipline en quête de son réel développement. Il faudra nécessairement « mouiller la chemise ». A l’image de la France d’aujourd’hui, de moins en moins de clubs acceptent les décisions descendantes et abruptes, décidées à Paris ou en Conseil de Ligue, sans qu’ils ne puissent broncher. Se réunir, discuter, échanger et décisions collégiales. Pas d’autre choix. De là viendra une partie de la solution. A condition d’en être conscient du côté des décideurs via une consultation nationale. Les collectivités devront elles aussi jouer le jeu, en considérant le futsal comme un véritable levier social pour une jeunesse demandeuse de repères mais surtout comme un formidable vecteur véhiculant une image positive de dynamisme pour leur territoire. Pas le futsal à papa pour contenter les quartiers et autres zones rurales défavorisées… La route est longue… A l’enfant de devenir grand et de prendre aussi conscience de son rôle.

En ce sens, le cas de l’agglomération toulonnaise est très intéressant et constitue un réel laboratoire: une grande région, 3 fédérations présentes (FFF, AFF, UNCF83), des clubs ruraux et de quartiers (en difficulté donc!), un club champion de D1, une ville sportive et attractive qui a des moyens, des enjeux électoraux et sociaux énormes. Et au milieu de tout ça, le club de Toulon Est Futsal, qui ne demande qu’à vivre dignement sa passion. Juste cela et rien de plus. Bon courage à eux. Vive aussi ce futsal de nos terroirs dont peu de personne parle, celui sans lequel rien ne pourrait être possible. Vive le futsal.

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